UN NEERLANDAIS AU PANTHEON
Seul Néerlandais à être enterré au Panthéon, Jan Willem de Winter s’est illustré durant la Révolution et l’Empire, notamment en parvenant à s’emparer, à cheval, de toute une flotte de bateaux coincée dans un chenal !

Jan Willem De Winter, tableau de Charles Howard Hodges, 1796
Être à la fois Néerlandais, patriote, pro-français, révolutionnaire, républicain et au service de l’Empire, c’est tout à fait possible. Cela demande une certaine agilité, bien entendu, et surtout d’être né au “bon” moment.
C’est le cas de Jan Willem de Winter qui débarque dans le monde en 1761 à Kampen, dans la province d’Overijssel. A 12 ans, encouragé par des parents certains que les voyages forment la jeunesse, Jan Willem s’engage dans la marine. Cinq ans plus tard, le voilà apte au service et aussitôt engagé dans une première bataille, celle de Dogger Bank.
Première médaille
Les Pays-Bas, que l’on connaît alors en tant que République des Provinces-Unies, sont une nouvelle fois en guerre contre l’Angleterre. Ce quatrième round entre les deux nations maritimes a commencé lorsque la République des Provinces-Unies a reconnu l'indépendance des colonies américaines de Grande-Bretagne.
Depuis, c’est le blocus maritime ! Les Néerlandais sont contraints de faire escorter par des bâtiments de guerre leur marine marchande pour espérer passer. Le 5 août 1781, Jan Willem est sur le pont quand une flottille anglaise attaque son convoi. Sept bateaux de combat se font bientôt face. Les canons crachent boulets et fumée. Tous manœuvrent pour tirer la meilleure salve sans qu’aucun ne parvienne à prendre l’avantage. Les pertes sont lourdes, les dégâts importants, trop, alors les Anglais se retirent.
De retour aux Pays-Bas, la flotte néerlandaise est acclamée. Avoir repoussé cette attaque galvanise le patriotisme. Le stathouder Guillaume V, le dirigeant de la République des Provinces Unies, créée pour l’occasion la première décoration nationale. Il distribue les médailles aux capitaines, aux officiers, aux sous-officiers et aux aspirants. Les matelots se contentent d’une prime exceptionnelle.

Les flottilles hollandaise et anglaise en ordre de bataille pour l'engagement naval du Dogger Bank, 5 août 1781.

Bataille de Dogger Bank, gravure de Robert Pollard d'après un tableau de Dominic Serres
L’exil
Après cette première bataille, de Winter poursuit sa carrière militaire tout en se rapprochant des Patriotes, un parti politique qui aspire à plus de démocratie aux Pays-Bas et, donc, au départ du stathouder jugé absolutiste. Quand une guerre civile éclate, entre ces fameux Patriotes et les Orangistes -les partisans de Guillaume V- De Winter choisit définitivement son camp. L’arrivée de troupes prussiennes en septembre 1787 l’oblige à quitter les Pays-Bas pour se réfugier en France.
Quelques mois plus tard, il intègre l’armée française. La Révolution s’invite dans l’aventure. De Winter rejoint alors la Légion Batave où il grimpe les échelons rapidement. En 1794, il est déjà général de brigade. En septembre de la même année, c’est le retour au pays, mais dans les rangs de l’armée française.
Bois-le-Duc, Nimègue, les places tombent aux mains des Révolutionnaires avant que l’hiver n’immobilise les troupes. Les températures sont glaciales. Le thermomètre franchit allégrement la barre des -20°C. Le froid est si intense que le Zuiderzee, qui était alors encore une mer intérieure, se fige. Quinze navires de la flotte néerlandaise, dont onze armés et équipés, se retrouvent pris dans les glaces. Le gros des forces hollandaises n’a plus d’autre choix que d’attendre que le redoux les libère. Mais pendant ce temps-là, l’armée française a repris sa marche.

Tableau de Charles Louis Monzin représentant la prise de la flotte hollandaise
Une bataille, deux histoires
Les troupes filent tout droit vers le Nord. Et, bientôt, elles arrivent en vue de la flotte néerlandaise. A partir d’ici, on raconte deux histoires légèrement différentes selon que l’on soit français ou néerlandais. La première nous ramène aux côtés de Jan Willem, fin janvier 1795. Il est à la tête d’un régiment de hussards avec l’ordre de capturer les navires. Après avoir observé le théâtre des opérations, Jan Willem sonne la charge et ses hussards courent sus les bateaux ennemis qui, mal équilibrés, ne peuvent se servir de leurs canons. Les hussards les abordent cavalièrement et obtiennent leur reddition. Le ait est rarissime dans l’histoire de la guerre puisqu'alors, des cavaliers viennent de remporter une bataille navale !
Les Néerlandais ne partagent pas les mêmes souvenirs. Selon eux, le commandant de la flotte avait reçu l’autorisation deux jours avant l’arrivée des Français de ne pas opposer de vaine résistance et de préserver ses hommes. Les Français, qui seraient arrivés par voies terrestres et non sur la glace, n’auraient eu qu’à envoyer quelques hussards jusqu’aux bateaux pour parlementer. Et là, tout de suite, c’est moins glorieux. Mais qu’importe la manière, pourvu qu’on ait la victoire !

Le vaisseau amiral anglais Le Venerable engage le vaisseau amiral néerlandais Vrijheid à la bataille de Camperdown
Un coup de Trafalgar
Jan Willem profite quoiqu'il en soit de l'aura de la bataille. Lorsque la République batave s’installe aux Pays-Bas, il se retrouve parachuté vice-amiral avant de reprendre la mer, en 1797, pour une nouvelle mission. On l'envoie du côté de Texel pour accaparer toute l’attention des Anglais tandis que la flotte française en profitera pour débarquer en Irlande. La manœuvre fonctionne et les Anglais, dépités, rejoignent les côtes anglaises pour reconstituer leurs forces. Les Hollandais profitent de leur départ pour croiser en Mer du Nord. Un navire anglais les surprend et file prévenir le gros des troupes pour stopper leur avancée au plus vite.
Les Anglais rattrapent les navires néerlandais le 11 octobre, en pleine mer. Chaque camp compte une vingtaine de bâtiments. Des frégates accompagnent de puissants vaisseaux de lignes alignant jusqu’à 74 canons !
Et huit ans avant la Campagne d’Egypte, les Britanniques tentent déjà un coup de Trafalgar ! Ils placent leurs navires en trois colonnes dont une perce les lignes néerlandaises et filent tout droit vers le Vrijheif, le navire amiral de De Winter.
Le Vénérable, le bâtiment anglais le plus lourdement armé, est à la tête de cette division. Il prend le bateau de De Winter d’assaut avec quatre autres navires. Après un combat acharné de plus de trois heures, Jan Willem n’a d’autres choix que de se rendre. Le reste de la flotte néerlandaise sera détruite ou capturée à l’issue de cette bataille.

Napoléon Ier en visite à Amsterdam en 1811
Au mieux dans l’Empire
Jan Willem est emmené en Angleterre avec près de 3 800 autres prisonniers. Il ne sera libéré que plusieurs mois plus tard avec la promesse de ne plus jamais combattre la Grande-Bretagne. Quand il rentre aux Pays-Bas, il doit d’abord défendre son cas auprès de la Haute cour martiale navale avant de pouvoir reprendre son poste.
Lorsque Napoléon décide de créer le Royaume de Hollande et place son frère Louis à sa tête, De Winter ne la perd pas et continue de gravir les échelons. Louis de Hollande le fait maréchal quand il lui donne le commandement de l’armée et de la marine de son royaume. En 1810, peu avant l’annexion du royaume à l’Empire français, Jan Willem obtient le comté de Heussen.
Le nouveau changement de régime lui est une nouvelle fois profitable. Napoléon lui décerne la Grande-Croix de la Légion d’Honneur et l’élève au rang de Comte de l’Empire. Et, si ça ne suffisait pas, l’Empereur le nomme inspecteur général de la côte de la Mer du Nord et commandant de la flotte à Texel !

L'Amiral de Winter peint par Mr. Orme
Au Panthéon
Quand il s’éteint en 1812, à Paris, à l’âge de 51 ans, on lui prépare aussitôt des funérailles nationales… en France ! Un long cortège accompagne sa dépouille jusqu’au Panthéon où, devant des ministres, des militaires, des vétérans et des hauts fonctionnaires, son corps est placé dans une des cryptes. Son cœur seul retourne aux Pays-Bas, dans la Bovenkerk de Kampen.
Le plus français des Néerlandais n’aura pas ménagé sa peine pour profiter du repos éternel en France, au cœur de son tombeau le plus mythique. Aujourd’hui encore, on peut l’y retrouver et lire les mots laissés là par la “patrie reconnaissante” : “Officier de marine néerlandais, partisan de la Révolution, il fut contraint de fuir la Hollande et d'émigrer en France. En 1795, il retourna dans les provinces néerlandaises à la tête de l'armée française et devint ensuite ministre plénipotentiaire de la République batave auprès du gouvernement français. Louis Bonaparte, roi de Hollande, le nomma maréchal, comte et commandant des forces terrestres et navales. Napoléon le nomma successivement grand officier de la Légion d'honneur, inspecteur général des côtes du Nord, commandant des forces navales alliées à Texel, et enfin comte de l'Empire”.