LE POISON DE LA MERE
11 avril 1915. Maria Catharina Swanenburg s'éteint dans la prison de Gorinchem. Mais avant de passer l'arme à gauche, elle en aura fait couler beaucoup. Celle qu’on surnommait Goeie Mie n'était peut-être pas si bonne pâte que ça.

Deux morts à Leydes
Leyde, 13 décembre 1883. Deux morts. Le même jour. Une mère et son bébé de 8 mois sont découverts gisants dans leur appartement. Le père, à l’article de la mort, a réussi à se traîner jusque chez un médecin pour donner l'alerte. Le toubib se rend sur place et constate, assez rapidement, que les décès ne semblent pas naturels. Il relève ici ou là des traces de vomissement conséquents. Toutefois, à une époque où la dysenterie et le choléra font encore des ravages, on ne peut crier aussitôt au meurtre. La police enquête et procède aussitôt à quelques prélèvements pour analyse. Des restes d’aliments sont emportés avec les corps.
Une affaire de famille
Le lendemain, un homme se présente au commissariat. Il a entendu parler de l’affaire. Et cela lui rappelle étrangement le décès de ses parents survenu quatre ans plus tôt, dans les mêmes circonstances. A l’époque, il avait nourri quelques soupçons envers sa tante qui “s’occupait toujours de leurs intérêts concernant les prestations décès”. Une information plutôt intéressante puisque cette tante n’est autre que la belle-soeur de la défunte découverte la veille.
Il n’en faut pas plus aux enquêteurs pour inviter la dame à répondre à quelques questions. Maria Catharina Swanenburg est interrogée le soir même. Elle a bu quelques verres pour se donner du courage alors ses réponses restent vagues, confuses. Mais les policiers insistent. Finalement, elle reconnaît s’être rendue chez sa belle-sœur le jour du drame. Mais c’était pour l’aider à nettoyer la maison, indique-t-elle. Elle avait d’ailleurs pris une bouteille de javel tout exprès. Après, peut-être qu’une partie du produit a fini, par inadvertance, dans le porridge de la famille, propose-t-elle aux policiers.

Une femme pleine d’assurances
Elle doit aussi expliquer pourquoi on a retrouvé le livret d’assurance obsèques de sa belle-sœur dans sa propre poche de tablier. Maria ne se démonte pas. Elle explique aider beaucoup de gens à remplir ce genre de paperasses, sa belle-sœur y compris. La perquisition à son domicile le confirmera. On y retrouvera plusieurs documents de ce type.
Alors que Maria se défend des accusations policières, ses voisins et connaissances s’étonnent de son arrestation. De bonne nature, généreuse, elle n’hésite jamais à donner un coup de main. Celle que l’on appelle plus souvent Mie que Maria est même surnommée Goeie Mie, la bonne Mie. Et cette histoire d’assurance obsèque n’a rien de scandaleux. Mie a déjà payé plusieurs fois pour les funérailles de voisins. Elle a même distribué l’argent qui restait aux enfants.
Des cadavres dans le placard
Mais cette belle réputation ne va pas tenir très longtemps. Un livre de compte trouvé chez elle montre des entrées d’argent conséquentes. Il apparaît vite évident que Maria n’a pas hésité à se servir dans les primes d’assurances même si elle en a bien redistribué une partie.
Et puis, petit à petit, on commence à déterrer d’autres cadavres. La famille Aben se souvient que Mie s’occupait de leurs deux filles au moment de leur décès quelques semaines plus tôt. D’autres encore se rappellent avoir été forts malades après une visite de Maria.
Plus l’enquête avance, plus les doutes et les charges s’accumulent. Les résultats d’analyses réalisées sur les dernières victimes en date dévoilent la présence d’arsenic. On va exhumer d’autres corps dont la mort est devenue suspecte et on y détectera le même poison. Maria ne l’avouera qu’à demi-mots mais les registres du pharmacien local sont sans appel. On lui a vendu, à de multiples reprises, de l’oxyde d’arsenic pour ses problèmes de puces de lit. Et vu les doses acquises, les puces étaient nombreuses !
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De Leidsche Giftmengster ou l'empoisonneuse de Leyde
Circonstances atténuantes ?
Le procès s’ouvre en 1885. Maria Catharina Swanenburg est soupçonnée d’avoir empoisonné près d’une soixantaine de personnes, dont plus d’une vingtaine auraient succombé, mais, faute de preuves suffisantes, on ne la poursuit seulement que pour trois assassinats. Si elle ne présente aucun regret à la barre, les psychiatres relèvent néanmoins une conscience fragile. Et les chroniqueurs, qui ne manquent pas de couvrir le procès, retrouvent ce que l’on pourrait presque appeler des circonstances atténuantes dans le passé de Maria.
Née dans une famille de douze enfants dont seulement cinq atteignent l’âge adulte, Maria passe sa jeunesse dans les quartiers pauvres de Leyde, déménageant sans cesse car son père, ivrogne, ne parvient que rarement à payer le loyer. Plus tard, mariée à un ouvrier de forge, elle est à nouveau confrontée à la mort et au malheur. Sa première fille meurt du choléra à seulement deux ans, comme 800 autres personnes à Leyde cette année-là. Elle perdra six autres enfants par la suite
Condamnée !
Goeie Mie est finalement condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité à l’issue de son procès. Elle purgera sa peine pendant deux ans à Bois-le-Duc avant d’être transférée dans la prison de Gorinchem, une petite ville à l’est de Rotterdam, où elle finira sa vie. Célèbre, elle devient le sujet de chansons et a même le droit à sa statue de cire dans le Panopticum d’Amsterdam. Grâce à elle, enfin, on modifie la loi sur la vente des poisons comme l’arsenic par le public. Une loi pertinente qui n’empêchera pas le lancement, bien des années plus tard, du gin Goeie Mie aux bonnes herbes de sorcière et au détoxifiant du pauvre. A votre santé !
