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GONFLÉ, LE JEAN-PIERRE BLANCHARD

Une rue de La Haye honore la mémoire de Jean-Pierre Blanchard.Le nom ne vous dit rien ? Alors laissez-moi vous raconter son histoire !

Pour prendre l’air, rien de mieux que de se rendre à Singels, dans l’arrondissement d’Ypenburg, et de se laisser emporter par les noms de rues. Une dizaine d’entre elles rend hommage à des hommes qui ont marqué l’histoire de l’aviation ou dont l’aviation a marqué l’histoire. La Ballangéelaan comme la Vermeulenlaan portent le souvenir de deux soldats abattus par les avions allemands le 10 mai 1940. Leonardus Maria Johan Ballangée avait 21 ans. Gerrit Vermeulen en avait 24. 

D’autres rues remontent davantage le temps en prenant le nom de précurseurs voire de pionniers de l’aviation. Certains sont néerlandais comme Anthony Fokker, aviateur et constructeur d’avion, Albert Plesman, premier directeur de la compagnie KLM, Frits Koolhoven ou bien encore Jan Hilgers. 

Les Américains sont représentés par Charles Lindbergh, l’aigle solitaire, et les frères Wright, les premiers à voler dans un avion motorisé. 

La France n’a pas à rougir de sa délégation avec la Blériotlaan, la Farmanstraat et la Blanchardstraat. On connaît bien Louis Blériot, le premier à avoir traversé la Manche en avion en 1909, un peu moins Henri Farman, pourtant homme de tous les records de vol du début du XXème siècle, et encore moins Jean-Pierre Blanchard. Et c’est dommage car le personnage est épatant. 

 

​​​​​​​​​​​​“Un petit bonhomme pétulant”

Né durant l’été 1753 en Normandie, au pied du Château-Gaillard de Richard Coeur de Lion, Jean-Pierre se passionne très vite pour la mécanique et collectionne les inventions. Il s’intéresse notamment aux engins volants. Et il n’est pas le seul.

Les frères Montgolfier sont aussi sur le coup. Ils réaliseront un premier vol habité (par des animaux) devant Louis XVI en septembre 1783. Leur ami et physicien Jean-François Pilâtre de Rozier deviendra le premier homme d’un vol habité en novembre de la même année.

Ces deux événements vont inspirer Jean-Pierre Blanchard qui perfectionne le ballon des Montgolfier. Il remplace l’air chaud par de l’hydrogène, plus efficace selon lui. En mars 1784, son ballon est au point. Il promet une première ascension depuis le Champ de Mars à Paris pour le 2 mars. 

Expérience du vaisseau volant de Blanchard le 2 mars 1784 au Champ de Mars

Ce jour-là, la foule se presse pour observer ce ballon de 8 mètres de diamètre censé s’élever dans les airs avec ce drôle de fou dans sa nacelle. Un contemporain décrit Blanchard comme “une créature désagréable, un petit bonhomme pétulant, mesurant à peine un mètre cinquante et physiquement adapté aux régions vaporeuses”.

Alors que l’on s’apprête à libérer l’aérostat, un étudiant se précipite, sabre au clair, vers la nacelle. Il veut être du voyage. Blanchard et son passager, Dom Pech, un dominicain, parviennent à maîtriser le forcené non sans avoir été légèrement blessés. Quelques instruments de navigation ont également été touchés. Mais Blanchard n’est pas homme à se dégonfler. Il prend son envol, bien décidé à rallier La Villette, plus à l’est. 

Toutefois, les vents en décident autrement et l’emmènent vers l’ouest. Après plus d’une heure de vol dans le ciel de Paris, il atterrit dans la plaine de Billancourt. Cet exploit va avoir un grand retentissement dans le royaume de France mais aussi à l’étranger. Blanchard réalise ainsi de nouvelles ascensions à Rouen en mai et en juillet avant de s’envoler au-dessus de Londres durant l'été. Et à chaque fois, à la différence de ses concurrents, Blanchard fait payer le public qui assiste à ses performances. Il n’est plus le seul à prendre de la hauteur, ses finances s'envolent elles aussi. 

 

Un autre tour dans sa manche

L’Angleterre le verra tenter une aventure encore plus périlleuse seulement quelques mois plus tard. En janvier 1785, Jean-Pierre Blanchard se lance, en compagnie de son ami le docteur Jeffries, au-dessus de la Manche depuis Douvres avec l’espoir de rallier Calais. 

Après une heure de vol et alors qu’ils se trouvent au beau milieu du détroit du Pas-de-Calais, le ballon commence à perdre de l’altitude. Les deux hommes commencent par lâcher du lest sans que la situation ne s’améliore. La mer se rapprochant de plus en plus, nos aérostiers y balancent tout ce qu’ils peuvent. Le courrier, les outres de rhum et de vin, la longue-vue, leurs manteaux de fourrure et tout le reste de leurs vêtements. John Jeffries racontera dans son journal qu’ils n’étaient plus vêtus que de leurs corsets de liège, ancêtres du gilet de sauvetage. 

Et puis un léger vent ascendant vient les pousser juste à temps. Les bateaux qui les suivaient depuis Douvres n’ont pas à intervenir. Le ballon s’élève de plus belle et, deux heures après avoir quitté les côtes anglaises, ils parviennent sains et saufs sur la côte d'Albâtre. 

Après un tel exploit, Jean-Pierre Blanchard gagne une reconnaissance et une célébrité qu’il ne manquera pas d’exploiter. Il réalisera une soixantaine d'ascensions dans les années qui suivent, en France mais aussi aux Etats-Unis où il sera le premier à faire voler un ballon habité en vol libre. 

 

La chute

Le 20 février 1808, Blanchard est reçu par Louis Bonaparte, alors roi de Hollande, à La Haye. Le frère de l’Empereur lui a demandé une démonstration de vol. Si ce n’est pas la première fois que Blanchard vole à La Haye, ce sera la dernière. Frappé d’apoplexie pendant le vol, il perd le contrôle de son ballon qui s’écrase. Projeté au sol, Blanchard subit des blessures qui lui seront fatales quelques mois plus tard. 

Rapatrié en France, il décèdera le 7 mars 1809 à Paris dans les bras de sa seconde épouse Sophie Armant Blanchard qui, loin de s’éplorer, va poursuivre l'œuvre de son mari. A 29 ans, Sophie ne manque ni de caractère ni de compétences. Elle sait fabriquer, préparer et piloter les ballons. Et elle ne va pas s’en priver. 

On la voit partout dans les grandes villes d’Europe se lancer des défis toujours plus fous comme sauter en parachute depuis sa nacelle ! Elle tentera, elle-aussi mais sans succès, de traverser la Manche. 

Elle bénéficiera même de l’attention, très poussée selon les mauvaises langues, de l’Empereur. Napoléon Bonaparte lui accordera le titre d’aérostier officiel de l’Empire et lui demandera de voler depuis le Champ-de-Mars lors de son mariage avec Marie-Louise d’Autriche en 1810. 

Sophie poursuivra sa carrière d’aérostier jusqu’en 1819. Le 6 juillet, elle réalise sa 67ème ascension (une de plus que feu son mari). Elle s’envole depuis les jardins de Tivoli à Paris. Pour agrémenter sa prestation, elle a accroché des feux d’artifice à sa nacelle qui, malheureusement mais assez logiquement, finiront par enflammer la nacelle. Prisonnière de son panier, Sophie ne contrôle plus le ballon qui percute une cheminée d’un immeuble rue de Provence. Éjectée, Sophie se brise le cou.

Illustrations du XIXème siècle de la mort de Mme Blanchard

Elle aussi aurait pu avoir une rue à son nom. Elle devra se contenter de le voir inscrit dans Cinq Semaines en ballon de Jules Verne, ce qui n’est pas rien. “Précipités, non ! Le gaz brûlerait tranquillement, et nous descendrions peu à peu. Pareil accident est arrivé à une aéronaute française, madame Blanchard ; elle mit le feu à son ballon en lançant des pièces d’artifice, mais elle ne tomba pas, et elle ne se serait pas tuée, sans doute, si la nacelle ne se fût heurtée à une cheminée, d’où elle fut jetée à terre”.

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