LA TULIPE QUI FAIT KRACK
Emblème des Pays-Bas, la tulipe y fleurit depuis cinq siècles. Le pays s’en est même fait le champion. Plus de trois milliards de fleurs y sortent de terre chaque année. Mais comme dans tout succès, une part d’ombre demeure. L’histoire néerlandaise de la tulipe n’a pas toujours senti la rose…
Alors que les tulipes viennent à nouveau annoncer le retour du printemps, les Pays-Bas s’activent. Loin de se coincer le bulbe, les horticulteurs du pays remuent ciel et, surtout terre, pour approvisionner le monde entier de ces belles fleurs de la famille des liliacées.
Cette mainmise, tout autant que verte, des Néerlandais sur la tulipe ne date pas d’hier mais du XVIème siècle. A l’époque, la fleur s’épanouit plus à l’Est. Originaire des steppes d’Asie centrale, la tulipe a fait racine au cœur de l’Empire Ottoman où elle orne les palais de Soliman le Magnifique et de son successeur Selim II.
Parmi tous les trésors de l’Orient, les voyageurs occidentaux de passage à Constantinople remarquent cette fleur exceptionnelle qui va jusqu’à orner la coiffe du sultan. Le nom même de tulipe dérive ainsi directement du fameux turban ottoman dont elle partage la forme.

De Vienne à Leyde
Ogier Ghislain de Busbecq, ambassadeur flamand au service de Ferdinand Ier, Empereur du Saint Empire Romain Germanique, figure parmi ces premiers visiteurs. Fasciné par la tulipe, il ne manquera pas d’en faire livrer jusqu’en Europe, notamment pour les jardins impériaux de Vienne qui reçoivent en même temps du lilas, des marronniers d’Inde, de la réglisse et des glaïeuls, entre autres.
Le responsable du jardin impérial d’alors, Charles de l’Ecluse, accueille sans retenue cette manne végétale. Il va la cultiver d’abord à Vienne puis à Leyde où il prend une chaire de professeur en 1593. Il y crée d’ailleurs le Hortus Botanicus Leiden, ou jardin botanique de l’Université de Leyde, le premier du genre aux Pays-Bas.
Parallèlement, l’Occident se découvre une passion pour l’horticulture. On sème à tout vent. Rare et exotique, la tulipe s’installe dans les meilleurs carrés des jardins de l’aristocratie et de la bourgeoisie.
Le bulbe est synonyme de luxe et de prestige. Il est donc cher. Mais ce n'est pas un problème dans un pays qui connaît son siècle d’or. Les Provinces Unies et leurs prestigieuses Compagnies des Indes Orientales et Occidentales commercent avec le monde entier. Le plat pays baigne dans un flot d’argent.

Tulipe, hype, hype…
La tulipe obsède tellement les contemporains qu’ils veulent la voir partout. La fleur se dissémine partout, dans la littérature mais aussi dans la peinture. Grâce aux artistes, on profite ainsi toute l’année d’une fleur à la floraison éphémère.
L’engouement ne se dément pas avec le temps, glissant doucement vers la folie. La demande croît si formidablement que le marché attire tous les spéculateurs. On achète les bulbes, à la floraison voire dès les semis. La facture gonfle d’année en année mais les investisseurs espèrent toujours revendre avec un copieux bénéfice.
A l’époque, il est impossible de savoir à l’avance de quelle couleur seront les tulipes que l’on a planté. Les spéculateurs croisent donc les doigts pour tomber sur les couleurs les plus à la mode ou, mieux encore, sur des tulipes marbrées. Un virus transmis par le puceron leur donne parfois de belles marques blanches sur les pétales et cette “malformation” les rend alors encore plus précieuses.

Allégorie de la tulipomanie, Jan Brueghel le Jeune​

La vente des oignons, anonyme
“Bulbe” spéculatif
Dans les années 1630, la valeur de la tulipe atteint des sommets hallucinants. Un bulbe vaut bientôt davantage qu’une maison à Amsterdam. Au plus fort de la demande, il s’en vend à 13 000 florins alors que le revenu annuel moyen est de 150 florins ! Pourtant, rien ne semble devoir stopper cette frénésie. Les clients se pressent toujours plus nombreux. Tant et si bien que l’on commence à vendre plus de tulipes que l’on ne peut en produire.
Mais toutes les folies ont leurs limites, même la Tulipomanie. La bulle spéculative va s’effondrer, brusquement, massivement. En février 1637, les tulipes, achetées à prix d’or quelques mois plus tôt, ne trouvent plus preneur. Les plants de l’année vont perdre 90% de leur valeur en un instant. Évidemment, l’effondrement du marché provoque la ruine de nombreux investisseurs qui ne verront plus la tulipe que comme une fleur du mal. Mais ils seront bien les seuls à rester longtemps insensibles au charme de la tulipe.
Le krach boursier passé -le premier dans l’Histoire- le pays cultivera plus raisonnablement son jardin. Ce qui ne l’empêche pas, sans vouloir lui jeter des fleurs, d’être encore aujourd’hui le premier producteur et exportateur mondial de tulipes.