LE GIN SOUS TOUTES LES COUTURES

Livraison londonienne de la production de la distillerie néerlandaise Rijnbende
Un produit de l'alchimie
Accrochez-vous à vos bretelles, je m’apprête à tailler un short au sentiment abusif distillé par les Anglais qui voudrait qu’ils soient les inventeurs du gin ! S’ils sont bien les premiers producteurs de gin aujourd’hui, les sujets de Sa Majesté Charles III ont laissé le soin à d’autres de créer leur deuxième boisson nationale après le thé. La vérité sur le gin est ailleurs !
Pour la trouver, il faut faire un saut dans le temps et revenir au Moyen-Âge. Diffusée au gré des échanges plus ou moins musclés entre la Chrétienté et le monde Musulman, la science de le distillation, transmutation de l’alchimie, produit de nombreux élixirs.

Le gin tonique
Dès le XIIIème siècle, les moines bénédictins utilisent les baies de genièvre pour concocter des potions médicamenteuses. Les distillations de ces baies soignent les affections gastriques, intestinales, hépatiques et rénales.
On prête tellement de bienfaits aux baies de genièvre que l’on va également s’en servir pour lutter lors des épidémies de peste. On brûle les genévrier pour purifier l’air et leurs baies pour fumiger les maisons et les corps contaminés.

Sylvius et Jenever
Les techniques s’améliorant, et l’expérience aidant, la distillation gagne en qualité. Au XVIIème siècle, le médecin Franciscus de le Boë Sylvius va si bien réussir sa décoction diurétique qu’elle va se retrouver sur tous les zincs de Leyde.
Réalisée avec les ingrédients récoltés dans l’Hortus Botanicus, le jardin botanique de la vénérable université de la ville, la potion de Sylvius coule bientôt à flot dans les gosiers hollandais. Le “jenever” était né !
Dès lors, on oublie le médicament pour trinquer à la naissance de cette nouvelle boisson récréative. Ce distillat à base de céréales, aromatisé aux baies de genièvre et vieilli en fûts de chêne, conquiert vite les autres provinces des Pays-Bas avant de se répandre sur des terres plus lointaines grâce, notamment, à la force de vente de la VOC, la Compagnie néerlandaises des Indes Orientales.
Et, évidemment, le “jenever”, ou genièvre en français, franchira allègrement la mer du Nord pour s’écouler sur le marché britannique. On avance d’ailleurs deux explications à cette conquête commerciale fulgurante.

Les Provinces-Unies engagée dans la Guerre de Trente Ans
Du gin pour les soldats
De 1618 à 1648, l’Europe connaît une série d’affrontements majeurs mêlant ambitions hégémoniques et questions religieuses. Cette Guerre de Trente Ans mobilise notamment les troupes des Provinces-Unies. Face à la puissance de leurs adversaires, les néerlandais peuvent s’appuyer sur la présence de troupes britanniques. Ces dernières, entre deux combats, trinquent à leur santé à grands coups de genièvre. Alors au moment de faire leur paquetage de retour, ils emporteront avec eux quelques bouteilles ainsi que la recette du précieux élixir.
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Gin royal
Une autre explication subsiste. Nous sommes toujours au XVIIème siècle et aux Pays-Bas. Guillaume III d’Orange-Nassau, stathouder des Provinces -Unies, regarde avec attention ce qui se passe chez ses cousins britanniques. Petit-fils de Charles Ier, le sang anglais coule dans ses veines. Et ses liens avec Albion se sont renforcés lors de son mariage, en 1677, avec sa cousine la princesse Marie, fille aînée du prince héritier Jacques, le duc d’York.
A l’été 1668, son beau-père, devenu Jacques Ier, règne sur l’Angleterre de façon trop absolue, et catholique, au goût de Guillaume qui part régler le problème à sa source.
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Guillaume III, stathouder des Provinces-Unies, roi d'Angleterre, d'Irlande et d'Ecosse
Les canons de la Révolution
Il débarque avec un corps expéditionnaire le 5 novembre 1688 et conclut la Glorieuse Révolution en se plaçant sur le trône de l’Angleterre, de l’Ecosse et de l’Irlande.
Toujours à la tête des Provinces-Unies en tant que stathouder, Guillaume décide de leur donner un coup de pouce commercial en ouvrant le marché britannique au jenever. Le succès est immédiat. A tel point que de nouvelles déclinaisons locales apparaissent et qu’on transforme le nom de jenever, initialement transcrit en ginnever- en gin !

Défilé de gin
En réalité, ces deux versions sont correctes. Il semble bien que le jenever se soit répandu doucement de ports en ports jusqu’en Angleterre dès le début du XVIIème siècle et que l’accession au trône de Guillaume III n’a fait qu’amplifier un phénomène déjà existant.
Quoi qu'il en soit, le gin devient un produit de grande consommation. A la fin du XVIIème siècle, plus de 7 000 détaillants de gin agréés et des centaines de vendeurs ambulants se pressent dans Londres.
Le succès est tel que le royaume anglais devra prendre des mesures contre la consommation excessive de gin. Plusieurs lois tenteront de freiner l’engouement pour le gin au cours du XVIIIème siècle, sans réel succès. Il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour le gin cesse d’être un fléau.

Jeune (et vieux) jenever
Le jenever n’a pas disparu. Protégé par la législation européenne, il ne peut être produit qu’en Belgique et aux Pays-Bas. Alors que le gin est souvent fabriqué à partir d’alcool de grain neutre, le jenever est élaboré à partir d’une base de vin de malt.
On distingue néanmoins deux versions de cet alcool traditionnel : le jeune (jonge graanjenever) et le vieux (oud graanjenever). La différence entre les deux n’a rien à voir avec l’âge du produit mais plutôt avec le taux de vin de malt utilisé pour sa distillation. Le jeune en compte au maximum 15% tandis que le vieux en contient minimum 15%.
Enfin, ceux qui voudraient goûter au jenever historique se tourneront vers le plus rare, le vin de grain qui affiche un minimum de 51% de vin de malt. Tout comme le vieux jenever, le vin de grain (korenwijn) affiche une belle couleur ambrée qui le distingue, au premier regard, du jenever jeune et du gin.