JASON ET LES BOURGUIGNONS

Philippe le Bon portant le collier de l'Ordre de la Toison d'Or, Rogier van der Weyden, env. 1450
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, ou comme cestuy-là qui conquit la toison, et puis est retourné, plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge !
Le fameux sonnet de Du Bellay n'existait pas encore au temps de Philippe le Bon mais ça n'a pas empêché le duc de Bourgogne de trouver en Jason et sa quête audacieuse, un modèle de courage et d'abnégation digne de sa cour.
Le Duc
Philippe le Bon succède en 1419 à Jean sans Peur, son père fraîchement assassiné, à la tête du grand duché de Bourgogne. Puissant, le duc rivalise alors avec les rois de France et d'Angleterre. Il jouera d’ailleurs un rôle plus qu'important dans la Guerre de Cent Ans qui oppose les deux souverains pendant une bonne partie de son règne. Pour mémoire, ce sont les hommes de Philippe le Bon qui capturent Jeanne d'arc et la livrent aux Anglais.

Un collier pour les gouverner tous
Non content de jouer les arbitres entre français et anglais, Philippe étend le territoire de son duché. C'est lui qui mettra la main sur la Hollande qui devient une possession bourguignonne dès 1433.
Mais voilà, quand on est le chef d'une multitude de seigneurs répartis sur des terres allant de Chalon à Utrecht en passant par Arras et Luxembourg, il peut s'avérer difficile de tenir fermement les rênes du pouvoir.
Et en ces temps où chaque chevalier compte dans une armée, les souverains tentent par tous les moyens de s’attirer les faveurs et la fidélité des meilleurs éléments. Et l’un de ces moyens sera la création de nouveaux ordres de chevalerie. A l’époque déjà, un joli cordon, une belle médaille et un titre ronflant pouvaient vous assurer l’obligeance, et l'obéissance, de certains.

Albrecht De Vriendt, 'L'institution de l'Ordre de la Toison d'Or', 1895-1900, peinture murale dans la 'Salle gothique' de la Mairie de Bruges,.
Musea Brugge © www.lukasweb.be, photo : Dominique Provost
Ainsi, Philippe le Bon fonde l’Ordre de la Toison d’Or à Bruges en 1430. Si l’un des objectifs est politique, l’ordre existe aussi pour exalter l’esprit chevaleresque et défendre la religion chrétienne. L’idée fera du chemin en Europe avec la création de l’Ordre de la Jarretière* par Edouard III en 1348 et celle de l’Ordre de l’Etoile en 1351 par Jean le Bon en France.
L’Ordre se veut très sélectif. A l’origine, il compte seulement 24 chevaliers triés sur le volet. On augmentera progressivement les effectifs mais ils ne seront jamais plus que quelques dizaines.
La Haye au coeur du pouvoir
Chaque année, ces chevaliers se réunissent autour du duc de Bourgogne dans l’une de ses bonnes villes afin de discuter politique, justice et intérêts ducals. En 1456, c’est au tour de La Haye d’accueillir l’événement. Philippe le Bon s’y est installé pour plusieurs mois avec toute sa cour. La ville déborde de visiteurs pour cette neuvième rencontre au sommet.

Tout commence dans l’église Saint-Jacques, aujourd’hui Grote Kerk, où deux offices religieux sont donnés pour les chevaliers qui se réunissent ensuite dans la Ridderzaal du Binnenhof. Pour qu’aucun chevalier ne cherche sa place dans l’église, on installe de grands panneaux avec leurs armoiries au-dessus de leur place.
Ces armoiries, détruites par un incendie en 1539, furent reproduites aussitôt.
Ce sont elles que l’on peut voir dans Grote Kerk encore aujourd’hui !

Et pour la petite histoire, l’Ordre de la Toison d’Or existe toujours lui-aussi. Il y en a même deux !
Pour faire simple, les Habsbourg héritent du duché de Bourgogne et de l’Ordre. Quand ces mêmes Habsbourg deviennent souverains d’Espagne, l’ordre prend des accents andalous. Et puis les Habsbourgs laissent la place aux Bourbons en Espagne au XVIIIème siècle. Dès lors, Madrid et Vienne se disputent la propriété de l’ordre. La discussion n’ayant jamais abouti, les deux branches existent toujours !
*Les femmes à l’origine de tout !
Derrière les grands hommes se cachent toujours une femme… Il en serait peut-être ainsi de la création des ordres de chevalerie. Selon la légende de l’Ordre de la Jarretière, tout commence lors d’un bal donné à Calais en 1348.
Edouard III danse avec sa maîtresse, la belle comtesse de Salisbury, quand la jarretière de la demoiselle glisse négligemment à terre. Gentleman, Edouard s’agenouille pour ramasser l’étoffe. Ses chevaliers ne ratent pas l’occasion de se moquer de cette posture bien peu royale. Piqué au vif, Edouard ne se démonte pas. Il enfile la jarretière sur sa propre jambe et lance une punchline de cinéma.
“Messieurs, honni soit qui mal y pense. Ceux qui rient maintenant seront très honorés d’en porter une semblable, car ce ruban sera mis en tel honneur que les railleurs eux-mêmes le chercheront avec empressement !”
L’Ordre de la Toison d’Or a lui aussi un mythe fondateur féminin. On a longtemps raconté que Philippe le Bon était moins fan de Jason et de sa peau de mouton que de la chevelure blonde de sa maîtresse Marie de Rumbrugge. Une histoire légèrement tirée par les cheveux...
