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DOUBLE HOMICIDE A LA HAYE

Hendrik Jut défraie la chronique en 1876. Il est jugé pour un double homicide. Rattrapé après plus de trois ans de cavale, il risque sa tête… qui pourrait bien devenir encore plus célèbre que lui !

Début septembre 1872. Karl Marx, dont le livre phare, Le Capital, vient d’être traduit en russe pour la première fois, se promène sur les bords du Spui à La Haye. Il vient de s’installer à l’hôtel Pico, au n°271, afin d’assister au dernier congrès de la Première Internationale. 

En revenant jusqu’à sa chambre, il croise une des employées, Christina Goedvolk, qui en a fini de sa journée. La jeune femme a 26 ans et un ventre qui s’arrondit gentiment. Marx, l’esprit préoccupé par la politique, n’y prend pas garde. Il ne voit pas plus le jeune homme qui attend sur le quai du Spui. Lui a 21 ans. Hendrik Jut travaillait dans l’hôtel il y a encore quelques mois. Il se contente aujourd’hui de venir y chercher sa fiancée.

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L'Hôtel Pico au début du XXème siècle. Il arbore alors son nouveau nom : l'Hôtel des Sept Eglises de Rome

Sans le sou

Hendrik et Christina s'en retournent dans leur modeste domicile. Avec un seul salaire, celui de Christina, les futurs parents ne peuvent prétendre à autre chose qu’une chambre ridiculement petite et sombre. 

Mais Hendrik est optimiste. Il vient d’être engagé comme domestique par une vieille veuve fortunée. Il se peut même qu’elle débauche Christina. Malheureusement pour lui, son optimisme sera vite douché ! Il sera remercié quelques semaines plus tard. Son travail laissait à désirer.

Alors que l’hiver et l’accouchement approchent à grands pas, Hendrik n’a plus un sou. Fatigué d’aller d’échecs en échecs, il bascule du côté obscur. Ce que la vie ne lui donne pas, il le prendra !  

Hendrik emprunte de l’argent à sa mère. Avec le pécule, il se procure deux revolvers et un couteau. Profitant de la nuit précoce du mois de décembre et du froid qui vide les rues, Hendrik furète du côté du Bogt van Guinea (1). Il surveille la maison de la veuve chez qui il travaillait il y a encore quelques semaines seulement. Au troisième jour de planque, il sonne à la porte, accompagné de Christina.

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Hendrik Jut et sa compagne Christina Goedvolk

Abus de confiance

C’est Helena Beeloo qui leur ouvre. La fidèle employée de Mme Van der Kouwen est aussitôt lardée de coups de couteaux. Alors qu’elle rend son dernier souffle sur le palier, sa patronne vient aux nouvelles depuis l’étage. Christina lui dit alors qu’elle est venue chercher, avec Hendrik, une paire de bottes oubliée dans la maison. La veuve n’est absolument pas gênée de leur venue. Elle propose même à Hendrik de venir saluer les chiens dont il s’occupait ici. 

Hendrik monte à l’étage. Et ce n’est pas pour jouer à la balle… Il abat froidement son ancienne maîtresse avant de faire une razzia sur l’argent, les bijoux et les titres bancaires de sa victime.

Les deux assassins quittent les lieux à toute vitesse, foncent jusqu’à Rotterdam et mettent les voiles vers le Nouveau Monde. Quelques jours plus tard, ils débarquent tranquillement à New-York. A La Haye, l’épouvante et la consternation se disputent les gros titres. Ce double homicide est sur toutes les bouches. La police mène l’enquête tambours battants. Elle arrête de nombreux suspects mais les investigations s’avèrent finalement inefficaces. Les meurtriers demeurent inconnus des yeux de la justice…

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Allers-retours

Deux mois plus tard, Hendrik et Christiana ont le mal du pays. Persuadés que leur passé ne les rattrapera pas, ils s’offrent un billet retour vers les Pays-Bas. Prudents, ils choisissent le Brabant septentrional comme point de chute. Bien qu’à distance de La Haye, le couple ne vit pas sereinement à Vught. Une sourde angoisse commence à les ronger. Un nouveau départ semble nécessaire.

Cette fois, cap sur l’Afrique du Sud. Le couple tente de se mêler aux Afrikaners. Sans succès. Leur escapade aux confins du monde ne dure qu’un temps. Après quelques mois, ils sont de retour à Rotterdam, convaincus que leur vie ne peut s’épanouir ailleurs qu’aux Pays-Bas. Ils achètent un bar en ville et prennent les habits d’honnêtes taverniers. 

Les clients ne se font pas attendre. Les affaires marchent vite et bien. Hendrik peut commencer à se détendre et à profiter de sa bonne fortune. Parmi les habitués, certains se demandent tout de même d’où vient cet argent. Ils posent des questions. Et Hendrik, un soir où il a consommé un peu plus qu’à l’habitude, commence à se confier à un de ses plus fidèles piliers de comptoir. Il avoue le double meurtre !

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Une des nombreuses Unes de l'époque consacrée au "meurtre de Mme Van der Kouwen et de sa servante"

Un procès retentissant

Le consommateur se transforme aussi sec en délateur. La police débarque et un procès s'ensuit. La presse le suit avec empressement tout comme la foule anonyme qui vient jusqu’aux pieds du tribunal demander la peine capitale. 

“Jut doit aller dans la fosse” chantent-ils en chœur sans coeur. Mais on est en 1876 et les Pays-Bas ont aboli la peine de mort un an auparavant. Défendu par le futur premier ministre des Pays-Bas, Pieter Cort van der Linden, Hendrik est condamné à la réclusion à perpétuité. 

Sa peine sera finalement plus courte car il décède à peine deux ans plus tard, en 1878, à l’âge de 26 ans. 

L’histoire aurait pu s’arrêter là mais Hendrik continue d’intriguer même après sa mort. Son corps est disséqué et analysé par de grands anatomistes qui réalisent un moulage de son crâne et conservent sa tête dans du formol. Seul le moule nous est parvenu : il est toujours exposé dans le musée de l’Université de Groningue.

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Moulage en plâtre de la tête d'Hendrik Jut au Musée universitaire de Groningue

"Tête de Jut"

Plus fort encore, Hendrik Jut reste encore présent de nos jours dans la langue et les fêtes foraines néerlandaises. Un forain contemporain de Jut décida de profiter de la notoriété, et de l’impopularité, de Jut en rebaptisant son attraction “Tête de Turc” en “Kop van Jut” (tête de Jut). Il s’agit du fameux dynamomètre où l’on tape sur une base pour faire monter une cloche au plus haut. Les gens venaient nombreux pour passer leur nerf sur la tête de Jut, leur nouveau bouc-émissaire, transformant bientôt le nom de l’attraction en expression : “être la tête de Jut”.

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Le célèbre jeu (aux Pays-Bas) de la Kop van Jut

(1) Nom d'une rue !

L’année qui suit le double meurtre, les voisins de feue Mme Van der Kouwen demandent à la municipalité de changer le nom de leur rue. La bogt van Guinea devient ainsi la huijgenspark en 1873. 

Le traumatisme du crime efface par là-même l’histoire de la rue. Son nom est dû à la présence d’une auberge au XVIIIème siècle, assez populaire pour désigner à elle seule la rue. Il faut dire qu’à cette époque, les “Bogt van Guinea” étaient légions dans les villes accueillant les commerçants et les marins ayant affaire avec la Côte d’or africaine sous domination néerlandaise. On retrouve des “Bogt van Guinea” à Leyde, à Groningue ou bien encore à Goes. 

Cent vingt ans après la condamnation de Jut, le nom historique a néanmoins pu faire son retour. Depuis 1996, suite à la rénovation du quartier, une nouvelle voie reprend l’appellation d’origine, en modernisant toutefois l’orthographe : Bocht van Guinea.

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