LES NEERLANDAIS ONT-ILS UNE TETE DE FROMAGE ?
La question peut paraître saugrenue, elle n'en demeure pas moins pertinente au regard de l'Histoire que je vais vous raconter ! Une histoire au cours de laquelle les Français soutiennent que la faim justifie les moyens et les Hollandais que partage et fromage ne font pas bon ménage.

Cheese head, Roy Lichtenstein
“La Hollande, l’autre pays du fromage !” Ce slogan publicitaire marqua les esprits dans les années 90. La Nederlandse Zuivel Organisatie, représentante de l’industrie laitière néerlandaise, faisait alors en France, avec humour, la publicité de ses fromages. Le chanteur Dave participera d’ailleurs à un de leurs spots de pub dans lequel il affirmera, avec malice, “aimer l’Edam”.
Slogan publicitaire mis à part, la Hollande produit bien des fromages et peut donc aisément s’en vanter. Mais ce n’est pas pour autant que les Hollandais, et les Néerlandais en général, apprécient le surnom qui leur colle à la peau de “tête de fromage”. Le pays est d’accord pour faire du mets son apanage mais non à se rallier à ce panache !
L’Empire ne va pas mieux
Pourtant, ils n’en ont pas manqué, ceux qui sont à l’origine de ce surnom improbable. Pour les rencontrer, il faut remonter le temps jusqu’à l’époque de Napoléon Ier où tout se corse pour les Bataves. Et pour être plus précis, on va s’intéresser aux dernières années de l’Empire qui ne sont pas les meilleures.
De fait, à partir de 1812, la machine napoléonienne s’enraye. En mettant le cap sur la Russie, l’Empereur marche vers un destin funeste. Les Russes, tout feu tout flamme, l’accueillent avec une froide chaleur. La formidable armée levée par Napoléon, tellement formidable qu’on l’a surnommée la Grande, ne conquiert que ce que ses ennemis veulent bien lui laisser avant de prendre le chemin du retour avec le succès qu’on lui connaît. La retraite de Russie a de quoi glacer le sang. Plus de 300 000 soldats y trouvent la mort.


Fourches contre fourchettes
Pendant ce temps-là, les troupes restées en arrière sentent le vent tourner et les galères arriver. D’autant plus que les soldes et le réapprovisionnement se perdent en chemin. Les ventres commencent à gronder ! Alors, forcément, les fermes hollandaises deviennent l’objet de toute leur attention. La tentation est grande d’aller se servir.
Près de Gouda, de l’officier au simple bidasse, tout le monde en pince pour le fromage local quand on ne tente pas, directement, de se tailler des steaks dans les vaches qui paissent sur les riches terres hollandaises. La pression soldatesque - on en compte plus de 3 000 dans les parages- sur les productions vivrières locales devient si forte que les fermiers décident de prendre les armes. Ah, évidement, les leurs ne valent pas celles des Français. Les armureries locales n’abritent souvent que des râteliers. Face aux fusils des Grognards, les Hollandais s’équipent de fourches, de faux, de houes, de bêches et de serfouettes ! Et à défaut de shako, le chapeau des fantassins impériaux, les fermiers utilisent une nouvelle fois ce qu’ils ont sous la main : les moules en bois dont ils se servent pour fabriquer leurs fromages. Avec un peu de paille dans le fond recouvert d’un linge, le moule s’adapte à peu près à tous les crânes et les protègent des coups de sabres. L’armée des têtes de fromage peut se mettre en marche !
Cet équipement pour le moins original ainsi que leur volonté farouche de protéger leurs biens des ogres français permirent aux fermiers hollandais de mettre les chapardeurs en déroute. La victoire de cette troupe de paysans aux drôles de chapeaux fut suffisamment retentissante pour que ces soldats amateurs commencent à être surnommés les “kaaskoppen”, les têtes de fromage.
Mais aussi positif soit-il au départ, ce surnom de “kaaskoppen” prend vite une tournure beaucoup plus moqueuse dans le sud des Pays-Bas d’alors, la Belgique d’aujourd’hui, plus francophone à défaut d’être francophile. Chez eux, si le Néerlandais a une tête de fromage, c’est surtout parce que son cerveau serait tout autant criblé de trous ! Un keiskop, à Bruxelles, désigne ainsi un idiot…

Entrée de Napoléon à Amsterdam le 9 octobre 1811, Mattheus Ignatius van Bree
Visite d’un empressé
Gouda ne s’est pas contentée d’accueillir la soldatesque de Napoléon. A l’automne 1811, la ville a reçu la visite de l’Empereur en personne ! Soucieux de se prémunir d’un débarquement Anglais, Napoléon se rend alors aux Pays-Bas pour inspecter ses lignes de défense. Après un passage à Rotterdam, le convoi impérial doit prendre la route de Gouda. Dès qu’elles l’apprennent, les autorités locales mettent les petits plats dans les grands pour assurer un accueil de roi à l’Empereur. On dresse notamment un arc de triomphe tandis que le maire répète, pendant des semaines, son discours, ou plutôt ses discours.
Il entend s’adresser pas moins de trois fois au souverain français. Une première fois dès son entrée en ville puis une autre à l’hôtel de ville avant un discours de conclusion dans la cathédrale Saint-Jean. Tous les habitants, avec lui, attendent le jour J.
Arrive enfin le carrosse de Napoléon. Précédé de grenadiers à cheval, le véhicule se dirige droit vers le comité d’accueil. Le cocher n’a pas le temps de tirer le frein à main que déjà son passager de marque sort la tête par la fenêtre. Il salue vaguement l’édile d’une main lasse, laisse flotter son regard sur la foule réunie puis donne l’ordre du départ. Le fouet claque et le carrosse s’élance devant un maire amer qui consent n’avoir dit mot. Le public se tait tout aussi bien en regardant la voiture de l’Empereur s’éloigner peu à peu vers Amsterdam. Fin de la visite.
