UN FANTÔME VENU DE FRANCE SUR WESTEINDE
La Cour espagnole située sur Westeinde a été hantée pendant des siècles par le fantôme d'une jeune Orléanaise du XVIème siècle au destin malheureux.
Grietje se réveille en sursaut. On vient de jeter ses couvertures au sol. D’abord, elle ne distingue rien dans l’obscurité puis une silhouette se détache, juste devant son lit. Mais lorsqu’elle allume une bougie, il n’y a plus personne dans la pièce. Ne demeure plus que le murmure du bruissement d’une robe.
Cette même année 1653, un autre domestique de Johanna de Witt, sœur du fameux Johan de Wit, fait face à la même apparition angoissante et inexpliquée. Lorsque la maîtresse des lieux s’ajoute à la liste des victimes, le doute n’est plus permis : la Maison d’Assendelft est hantée.

De la fumée sans feu
Les années passent mais l’esprit continue de rôder dans les couloirs du 12 de la rue Westeinde. Démolie au XVIIIème siècle pour renaître sous le nom de Spaanse Hof, la Cour Espagnole, la demeure reçoit régulièrement la visite du spectre. Plusieurs ambassadeurs d’Espagne puis d’Angleterre rapportent des faits bien étranges.
En 1930, Sir Odo Russel se plaint officiellement de portes qui s’ouvrent seules, d’objets volants non identifiés et de la présence fantomatique d’une femme vêtue d’une robe en coton. En 1966, son lointain successeur voit un vase éclater sans raison et de la fumée apparaître sans qu’il y ait le moindre feu dans la maison. Il fera alors appel à un prêtre pour tenter de chasser l’esprit.
L’exorciste échouera mais l’ambassadeur, après une énième apparition de la dame, parviendra, à force de recherches historiques, à lui donner un nom : Catherine de Chasseur.

La rencontre
La vie de Catherine commence à Orléans en 1490. Ses parents y tiennent une auberge où la jeune Catherine officie en tant que serveuse. Les étudiants fréquentent l’établissement et, bientôt, l’un d’eux s’intéresse plus que de raison à Catherine. Gerrit van Assendelft est le rejeton d’une famille hollandaise fortunée. Il a des ambitions et les moyens de les assouvir. Sensible aux pucelles, qu’elles soient d’Orléans ou d’ailleurs, il séduit la belle qui, vite, s’embrase pour le bel étranger.
A l’auberge, Gerrit profite dès lors du gîte autant que du couvert. Mais l’histoire se complique quand de Chasseur père les surprend au lit. Le papa s’enflamme et fait feu de tout bois sur sa fille non sans menacer Gerrit. La pression est telle que Gerrit ne peut qu’abdiquer en fondant un foyer avec sa jeune conquête déjà enceinte. Marié malgré lui, Gerrit revient à La Haye avec deux surprises pour sa famille : une femme et un enfant, Nicolaas. L’accueil est plutôt frais. L’union d’une des familles les plus importantes de La Haye avec une roturière ne passe pas. Sous la pression, Gerrit laisse Catherine et son fils mener leur vie de leur côté dans la grande maison sur Westeinde, leur préférant ses parents et sa carrière politique.
Le divorce
La situation dure ainsi près de vingt ans avant que Gerrit ne se décide à divorcer. Catherine sera néanmoins obligée de poursuivre son ex-mari en justice pour qu’il daigne lui accorder une compensation financière. Elle recevra au final une maison au coin de Voorhout et de Nieuwstraat ainsi qu’une allocation de 600 florins par an. La somme est coquette mais insuffisante pour Catherine qui aime mener grand train. Les caisses se vident rapidement et les dettes s’accumulent. Acculée, Catherine prend conseil auprès de son aumônier Français, Mathurin, qui lui propose une solution peu catholique : le faux-monnayage ! Sa maison devient dès lors une entreprise toute aussi illégale que lucrative. Les fausses pièces coulent à flots. Catherine s’offre une vie de rêve et dépense sans compter. Evidemment, son train de vie dispendieux attire l’attention des curieux comme du bailli qui finit par découvrir le trafic.

Que d’eau !
Catherine, Mathurin et leurs complices sont engeôlés dans les cachots de la Gevangenpoort. Le procès ne traîne pas et les condamnations tombent. Décapitation pour les hommes et bûcher pour la femme ! Catherine va néanmoins bénéficier d’une grâce en tant qu’ancienne épouse de Gerrit, devenu depuis président de la Cour de Hollande. Elle échappe au bûcher… pour une sentence tout aussi terrible : la mort par noyade. Dans la nuit du 11 avril 1541, le bourreau l’installe sur un chevalet puis place un entonnoir dans sa bouche. Il y versera de l’eau jusqu’au décès par suffocation.

Son fils tentera sans succès par la suite de faire valoir ses droits sur l’héritage de son père. Rien d’étonnant alors à ce que Catherine, disparue si tragiquement, voyant son fils spolié, ait décidé de revenir hanter les lieux de son malheur. Les phénomènes surnaturels ne cesseront qu’en 1979 après que Sir Richard Sykes, l’ambassadeur anglais en poste alors à La Haye, ne soit abattu par l’IRA alors qu’il sortait de la Cour Espagnole. Il aura peut-être fallu attendre ce nouveau drame pour que Catherine accepte enfin son sort.