CHAOS AU KURHAUS

Samedi 8 août 1964, La Haye. Cinq jeunes musiciens atterrissent à Schiphol dans un relatif anonymat. Leur groupe n’a que deux ans d’existence. Quelques personnes seulement les accueillent avec une carafe de gin. A peine ont-ils trinqué qu’on les escorte jusqu’à leur voiture. Direction La Haye.
A l’hôtel Terminus, le groupe est attendu par de nouveaux fans. Il faut signer quelques autographes avant de partir vers Scheveningen. C’est là que le concert aura lieu ce soir. Un concert annoncé par une radio pirate, comme tout concert de rock qui se respecte. La date est attendue avec ferveur par les jeunes et avec crainte par la police !
Arrêtés fréquemment par des filles aussi mélomanes qu’esthétes, nos musiciens parviennent, entre deux échanges, à grignoter quelques bitterballen et siffler quelques mousses avant de se rendre dans la Kurzaal, la salle de concert du Kurhaus.

Cheveux longs et jupes courtes
Une courte répétition leur suffit pour se mettre en jambe. Ils laissent vite la place aux autres artistes à l’affiche ce soir pour qu’ils puissent eux-aussi tester la salle. André van Duin, les Fouryo’s, sans oublier Trix and the Paramounts passeront sur scène avant eux.
Dehors, la jeunesse afflue. Les garçons ont la cravate délacée et la veste légère. Derrière leurs lunettes noires, ils n’ont d’yeux que pour les filles en mini-jupes qui, elles, n’ont dieux que les musiciens. Tous convergent vers le Kurhaus, étroitement surveillés par une marée de képis. Les portes s’ouvrent et la jeunesse s’engouffre dans la salle de concert.

Sifflets et huées
Jos Brink se présente sur scène et annonce les artistes à venir. La foule n’écoute pas. Seule la tête d’affiche l’intéresse. L’animateur poursuit tout de même et tente, bon an mal an, de lancer le premier de cordée : André van Duin. Sa parodie de groupe n’est pas du goût du public qui le fait savoir. Les Fouryo’s le remplacent. Mais leurs reprises des tubes américains ne font pas plus recette. Les rires résonnent davantage que les applaudissements. Heureusement, les sifflets couvrent vite tout ce bruit. Quand Trix and the Paramounts les remplacent, les huées viennent compléter ce concert de mécontentement. Dans le public, l’impatience se mue en colère. Cette première partie n’a que trop duré. Tous ne sont venus que pour un seul et même groupe : les Rolling Stones !

Pierre qui roule n’amasse pas chaises
Les voilà justement qui arrivent sur scène dans un déluge de hurlements hystériques. Les premiers rangs, déjà commotionnés par l’apparition de Mike Jagger et ses acolytes, se retrouvent poussés contre la scène par la masse des spectateurs. Le parterre se meut par vagues pour mieux apercevoir les musiciens. Tout ce qui fait obstacle est écarté. On renverse les chaises, on arrache les accoudoirs avant de les jeter au loin.
Les plus motivés tentent de monter sur scène. Un jeune du coin y parvient. Il est aussitôt rejeté par des policiers qui se tenaient jusque là derrière les rideaux. Le public, enhardi par la témérité du garçon, le repousse sur la scène. Et les perdreaux de le refaire voler. Et la scène se répète jusqu’à ce que les policiers aient l’idée de l’évacuer en coulisse.
Le parterre ne se calme pas pour autant. Le mobilier se fait de plus en plus mobile. Des jeunes se suspendent aux lustres quand d’autres grimpent au rideau. Les Stones, habitués aux ambiances houleuses lors de leurs prestations, font de leur mieux pour jouer leurs musiques mais la chose devient compliquée quand on tire sur vos instruments pour en arracher les cordes, que l’on vous empoigne, vous étreint et vous arrache votre micro.

Emotions et commotion
Alors, douze minutes après le début du concert, les organisateurs tirent le rideau et emmènent les musiciens à l’arrière du bâtiment où une voiture les attend. Le chauffeur démarre aussitôt et roule en direction du centre quand, soudain, Mike Jagger note l’absence de Ian Stewart, leur régisseur. Le temps de faire demi-tour pour aller le rechercher, ils retrouvent leur copain avec une belle commotion cérébrale. Le départ du groupe a mis le feu au poudre et Stewart fait partie des victimes collatérales.
A l’intérieur de la salle, le chaos s’est installé. La majorité des spectateurs réussit à s’éclipser mais des irréductibles continuent de mettre le souk dans le Kurhaus. La police va les déloger avec les chiens !
Bilan de la soirée : un concert d’une dizaine de minutes, des contusions pour beaucoup de jeunes et plus de 10 000 euros de dégâts.
Les Stones se rappelleront longtemps de ce concert. “On est habitués à voir des jeunes hystériques, mais honnêtement, on n’a jamais rien vu de tel”, déclarent-ils quelques jours après le concert.
Mais ils n’en tiendront pas rigueur à leur fans néerlandais puisqu’ils reviendront donner trois autres concerts à La Haye en 1967, en 1976 et en 1998.