KETI KOTI, LA LIBERTE DECHAINEE

1er juillet 1863. Paramaribo est réveillé en fanfare par vingt-et-un coups de canons. Les artificiers du fort Zeelandia, sur les rives du Suriname, viennent de briser symboliquement les fers des esclaves du pays à grands renforts de boulets. Après avoir aboli l’esclavage dans les Indes orientales en 1860, les Pays-Bas franchissent enfin le pas au Suriname.

Un marché d'esclaves à Surinam, Jean-Baptiste Madou, 1839
Libérés mais pas délivrés
34 441 personnes se retrouvent ainsi libérées de l’esclavage… mais pas tout à fait de leurs anciens maîtres. En effet, les affranchis se voient contraints de demeurer à leur poste pendant dix ans ! Pour éviter de mettre à mal toute l’économie du Suriname, basée essentiellement sur la culture de la canne à sucre, gourmande en main d'œuvre, les Pays-Bas affranchissent sans vraiment libérer.
Les propriétaires d’esclaves conservent ainsi leur personnel à condition de leur verser un salaire. Et pour être bien certain que ces propriétaires ne perdent pas trop d’argent dans cette affaire d’affranchissement, le pays va leur verser une indemnité de 300 florins (environ 1 800 euros actuels) pour chaque esclave “perdu”.

Marché des esclaves, Jean-Baptiste Debret d’après Johann Moritz Rugendas, 19e siècle
Keti Koti
Ce n’est donc qu’en 1873 en réalité que les affranchis du Suriname purent profiter d’une liberté totale. Il n’en demeure pas moins que la date du 1er juillet 1863 restera gravée en lettres d’or dans le cœur des anciens esclaves et de leurs descendants. On en fera même un jour de fête. Ainsi, tous les 1er juillet se déroule Keti Koti, littéralement “chaînes brisées”.
Cette grande fête populaire anime tout le pays. Les Surinamiens se rendent à l’église après avoir décoré leur maison avec des branches de Flamboyant, un arbre aux impressionnantes fleurs rouge vif. On défile dans les rues durant le Bigi Spikri.
Pour l’occasion, les Surinamais revêtent leur habit de fête traditionnel : le koto.

Une date parmi d’autres
Depuis les années 2000, le Keti Koti est également fêté aux Pays-Bas. A La Haye, par exemple, concerts, promenades, conférences et distributions d’Heri Heri, un plat traditionnel surinamais, animent toute cette journée de mémoire. Amsterdam, Rotterdam et d’autres lieux où l’histoire de l’esclavage raisonne particulièrement s’associent à l’évènement.
Mais Keti Koti n’est pas la seule fête célébrant la fin de l’esclavage. De fait, l’abolition s’est faite au cas par cas dans les anciennes colonies néerlandaises.
Les premiers à recouvrer la liberté sont les esclaves de Saint-Martin en 1848. Ils avaient la chance de pouvoir facilement fuir du côté français de l’île où ils étaient libres. Les Néerlandais n’eurent d’autres choix que de proclamer l’émancipation sous peine de perdre l’ensemble de sa main-d'œuvre.

Pierre Jacques Benoit.- La leçon de danse au violon Surinam, 1839
Esclaves au XXème siècle
En 1860, une large partie des Indes orientales néerlandaises abolit l’esclavage. Trois ans plus tard, c’est au tour des Antilles néerlandaises suivies de près par la Côte de l’Or néerlandaise et de Bali.
Mais les esclaves de la petite île de Sumbawa, en Indonésie, devront attendre 1910 pour être libérés de leurs chaînes. Les derniers à être affranchis se retrouvent dans la péninsule de Samosir, au nord de Sumatra. Nous sommes alors en 1914 !
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Chef des Bushinengue (Marrons du Suriname) en visite au gouverneur de Paramaribo, dans la colonie de Guyane néerlandaise, vers 1808
Le cas particulier des Marrons
Avant d’abolir l’esclavage au Suriname, les marchands néerlandais auront emmené plus de 250 000 Africains en Amérique du Sud. Certains de ces Africains parviennent à échapper à la surveillance de leurs maîtres et de leurs gardes chiourmes pour rejoindre les zones de landes et de jungles de l’arrière-pays surinamais. On les appelle alors des Marrons, un mot dérivé de l’espagnol “cimarron” qui décrit le retour à la vie sauvage d’un animal domestique.
Livrés à eux-mêmes, les Marrons ont réussi à construire des villages et à faire prospérer une société indépendante.
Bientôt très nombreux et donc plus puissants que les faibles effectifs militaires coloniaux, ces villages devenus peuples ont pu lutter efficacement pour obtenir leur liberté un siècle en avance. Plusieurs d’entre eux ont ainsi pu signer des traités de paix avec les Néerlandais incluant leur affranchissement dans les années 1760. Le premier de ces traités, signé le 10 octobre 1760, est à l’origine d’une autre fête nationale au Suriname : la Journée des Marrons.

Une délégation de Marrons, Voyage à Suriname , PJ Benoit, 1839